Comment le Lycée Mohammed VI d’excellence forme les futurs élèves de Polytechnique
- Youssef Ziraoui
- 29 juin
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 juil.
Chaque année, ils sont plusieurs dizaines d'étudiants marocains à décrocher leur place à l’École polytechnique, la plus prestigieuse et la plus sélective des écoles d’ingénieurs françaises. Un exploit rare, rendu possible par un établissement d’exception : le Lycée Mohammed VI d’excellence (LYDEX). Grâce à une pédagogie innovante, un accompagnement exigeant et un environnement propice à l’épanouissement intellectuel et personnel, le LYDEX s’impose comme une référence nationale dans la préparation aux concours des Grandes Écoles. Dans cet entretien, Christophe Boeckel, Directeur des CPGE du LYDEX, dévoile les coulisses de cette réussite hors norme et les principes qui guident sa démarche.

Le Lycée Mohammed VI d’excellence (Lydex) s’est imposé comme une référence majeure dans la préparation aux concours d’entrée aux grandes écoles d’ingénieurs, notamment Polytechnique. Cette année encore, plusieurs de vos élèves ont intégré cette prestigieuse institution, signe d’un travail pédagogique rigoureux et d’un accompagnement efficace. Pouvez-vous nous décrire globalement la méthode que vous appliquez pour préparer vos élèves aux concours d’ingénieurs ? Quelles sont, selon vous, les clés de ce succès?
La réussite des CPGE du Lydex repose sur une alchimie exigeante et ambitieuse, fondée sur plusieurs piliers essentiels. D’abord, une sélection rigoureuse des élèves permet de constituer des promotions à fort potentiel, prêtes à s’investir pleinement dans un parcours exigeant. À cela s’ajoute le choix minutieux des professeurs, à la fois experts dans leur discipline et profondément engagés dans l’accompagnement humain et pédagogique des élèves. Les moyens mis à disposition – infrastructures modernes, encadrement attentif, conditions matérielles optimales – créent un environnement propice à l’excellence. Le climat scolaire joue également un rôle central : il s’appuie sur la confiance, l’humilité et le plaisir d’apprendre ensemble. L’internat favorise le vivre-ensemble, l’entraide, la camaraderie et la cohésion de la promotion, tout en renforçant un fort sentiment d’appartenance. Cette dynamique s’inscrit dans une volonté constante d’amélioration et d’innovation : loin de surcharger les élèves avec des heures supplémentaires ou un soutien intensif, l’approche pédagogique valorise l’autonomie et la responsabilité. Elle invite chaque élève à expérimenter, à se confronter à l’échec, à apprendre par lui-même. C’est dans cette logique que le volume du cours magistral a été réduit d’environ 25 %, afin de laisser davantage de place à l’initiative personnelle et au développement d’une intelligence authentiquement active.
Recherchez-vous un certain type de profil dès l’entrée au lycée afin de maximiser les chances de réussite aux concours ?
Le profil d’entrée recherché pour les CPGE du Lydex d’excellence repose sur la conviction forte que le potentiel d’excellence est présent partout, dans toutes les régions et provinces du Maroc. Ce potentiel d’excellence n’est pas toujours pleinement révélé ou valorisé dans le secondaire, en raison de disparités dans la qualité de l’encadrement et du suivi pédagogique. C’est pourquoi nous cherchons à identifier des élèves capables de s’épanouir dans un environnement exigeant et stimulant, comme celui offert par le Lydex. Chaque année, nous sélectionnons des candidats issus d’un large éventail de lycées — plus d’une centaine, qui varient d’une année à l’autre — afin de garantir une grande diversité de profils et de parcours. Les notes au baccalauréat constituent un repère, mais ne sont pas déterminantes. Ce sont les tests d’admission, conçus pour mettre en lumière des capacités brutes, une curiosité intellectuelle, une rigueur de raisonnement, des compétences transversales qui nous permettent de repérer ce potentiel d’excellence. Le format de ces épreuves évolue régulièrement afin d’éviter les effets d’entraînement ciblé qui pourraient avantager certains candidats au détriment d’autres moins préparés mais tout aussi prometteurs.
La préparation aux concours s’étale sur plusieurs années. Comment organisez-vous le parcours des élèves pour les amener progressivement au niveau d’exigence requis ?
Au Lydex, la préparation accorde une place centrale aux épreuves orales, souvent négligées dans le parcours scolaire antérieur des élèves, qui ont majoritairement été formés à l’écrit. Or, les épreuves orales permettent de révéler des qualités complémentaires — réactivité, clarté d’expression, capacité d’analyse en temps réel — qui sont essentielles pour intégrer les écoles les plus prestigieuses. Ces dernières ne s’y trompent pas : à l’École polytechnique, par exemple, l’oral représente 70 % de l’admission finale. C’est pourquoi notre approche ne se limite pas à la maîtrise technique des exercices posés à l’oral. Elle vise aussi à développer des compétences transversales déterminantes : savoir prendre des initiatives, oser proposer des pistes même imparfaites, écouter activement l’examinateur et exploiter ses remarques, rester lucide face à une attitude distante ou déstabilisante. Nous apprenons à nos élèves à faire de l’oral un espace d’échange et de démonstration de leur intelligence vivante, plutôt qu’un simple test de restitution scolaire.
“À l’École polytechnique, par exemple, l’oral représente 70 % de l’admission finale.”
La charge de travail est réputée très intense en classes préparatoires. Comment accompagnez-vous les élèves dans la gestion du stress et du rythme soutenu que cela impose ?
Notre projet pédagogique et éducatif repose sur une vision globale de la réussite, qui dépasse largement les seuls apprentissages académiques. L’internat joue à ce titre un rôle essentiel, en permettant d’instaurer un cadre de vie structurant et équilibré, propice à l’épanouissement personnel et collectif des élèves. Nous insistons fortement sur la notion d’équilibre : on ne peut travailler efficacement en permanence sans prendre le temps de se ressourcer. C’est pourquoi nous encourageons nos élèves à préserver des espaces pour leurs passions, le jeu, les échanges entre pairs, l’activité physique. Préparer des concours de très haut niveau, c’est comme se préparer pour les Jeux olympiques : il y a d’abord une dimension technique ou académique, mais aussi une dimension physique — il faut arriver en forme, avec une bonne hygiène de vie, du sommeil, une endurance soutenue — et surtout une dimension mentale. C’est souvent le mental, la capacité à gérer la pression, à garder confiance et lucidité, qui fait la différence le jour des épreuves. C’est cette préparation dans toutes ses dimensions que nous cherchons à offrir à chaque élève, dans un environnement stimulant, bienveillant et exigeant.
“Préparer des concours de très haut niveau, c’est comme se préparer pour les Jeux olympiques.”
Au-delà de la préparation académique, quels conseils donnez-vous aux élèves pour préserver leur équilibre personnel et leur bien-être durant cette période exigeante ?
Pour équilibrer efficacement leur préparation, les élèves doivent adopter quelques réflexes simples mais essentiels. Sur le plan académique, il est important de travailler avec régularité plutôt qu’en intensité ponctuelle, de prioriser la compréhension sur la mémorisation, et de savoir faire des pauses pour consolider les acquis. Sur le plan physique, une activité sportive régulière, même modérée, permet de maintenir l’énergie et de mieux gérer le stress ; elle contribue aussi à améliorer la qualité du sommeil, souvent négligée alors qu’elle est cruciale pour la concentration. Enfin, sur le plan mental, il est essentiel d’apprendre à relativiser les échecs, à ne pas se laisser envahir par le doute, et à cultiver la confiance en soi. Il faut savoir s’entourer, parler quand ça ne va pas, s’accorder des moments de détente sans culpabilité. La clé réside dans la constance, la bienveillance envers soi-même, et la capacité à maintenir l’envie et le plaisir d’apprendre.
Comment travaillez-vous sur les qualités personnelles et transversales indispensables à la réussite de ces concours ?
Dès la création du Lydex, nous avons fait le choix de travailler explicitement sur les qualités personnelles et transversales qui sont au cœur d’une réussite durable : résilience, curiosité, confiance en soi, capacité d’adaptation. Un module de développement personnel, inscrit dans l’emploi du temps à raison de deux heures toutes les deux semaines, permet aux élèves d’apprendre à mieux se connaître, à identifier leurs forces et leurs axes de progression. On y aborde également des outils concrets pour gérer le stress, organiser son temps et faire face aux défis avec lucidité et sérénité. Ces apprentissages prennent tout leur sens dans la vie quotidienne de l’internat et dans le cadre de notre projet éducatif global, où les élèves sont régulièrement amenés à expérimenter, à sortir de leur zone de confort, à tirer des enseignements de leurs erreurs et à cultiver leur autonomie.
“Dès la création du Lydex, nous avons fait le choix de travailler explicitement sur les qualités personnelles et transversales qui sont au cœur d’une réussite durable : résilience, curiosité, confiance en soi, capacité d’adaptation.”
Les élèves bénéficient-ils d’un encadrement spécifique pour la préparation aux langues étrangères, souvent décisives dans les concours ?
La préparation aux langues constitue également un volet important de notre accompagnement. Les concours se déroulant en français, il est essentiel de s’assurer que cette langue est bien maîtrisée. C’est le cas pour la grande majorité de nos élèves, mais certains peuvent bénéficier d’un module de remédiation spécifique, ainsi que d’un accès régulier au laboratoire de langues, dont la fréquentation est fortement encouragée. Pour le choix de la langue vivante aux concours, la plupart de nos élèves optent pour l’arabe, qu’ils maîtrisent généralement très bien, ce qui leur permet de se concentrer sur les épreuves scientifiques sans difficulté linguistique supplémentaire.
Parvenez-vous à impliquer les anciens élèves admis dans les grandes écoles d’ingénieurs dans la préparation des futurs candidats ?
L’implication des anciens élèves (plus de 1500 déjà !) constitue un véritable atout dans l’accompagnement de nos élèves actuels. Nous cherchons à favoriser au maximum ces échanges entre promotions, riches en conseils concrets et en motivation. Chaque année, lors du Forum des Grandes Écoles organisé fin décembre, une quarantaine d’anciens reviennent partager leur parcours, leur expérience des concours, et leur vie dans les écoles d’ingénieurs. Avant les écrits, certains interviennent à distance pour encourager et mobiliser les élèves, et ils sont souvent présents à Paris pendant les oraux pour les accueillir, les loger, et les accompagner. Les anciens admis à l’École polytechnique publient chaque année un recueil très précieux regroupant les exercices de leurs oraux, enrichi de remarques sur l’attitude des examinateurs et de conseils pratiques. Certains jouent aussi un rôle de mentor tout au long de l’année pour des élèves volontaires. Enfin, de nombreuses interactions informelles se développent de façon autonome via des groupes WhatsApp ou d’autres canaux, sans que nous ayons besoin d’intervenir : nous encourageons pleinement ces formes d’entraide spontanée, qui témoignent d’un esprit de solidarité et d’appartenance fort à la communauté Lydex.
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